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Lina Annab au défi de la relance du tourisme en Jordanie
21 février 2025
Carole Bellemare

Photo : DR
La ministre du Tourisme et des Antiquités capitalise sur le patrimoine, la nature et la gastronomie
Le 1er avril , la ministre du Tourisme et des Antiquités jordanienne inaugurera à Aqaba, station balnéaire de la Mer Rouge, le site restauré des vestiges mis au jour en 1998 d’une des plus vieilles églises chrétiennes du monde . La technologie a permis de dater sa construction entre 292 et 303 après Jésus-Christ, soit antérieurement à l’édification de la Basilique de la Nativité à Bethléem et du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
Les fouilles d’Aqaba ont confirmé la présence de diverses communautés dans la cité, dont nombre de chrétiens. Ceux-ci représentent aujourd’hui 5% de la population mais plus de 35% de l’économie. Influents , donc. Nombre d’entre eux seront présents pour l’inauguration par le nonce du Vatican, qui donnera aussi le La des célébrations mensuelles qui pourront alors se tenir sur le site.
Un motif de satisfaction pour la ministre Lina Annab, elle-même d’origine chrétienne, qui a repris en novembre dernier le fauteuil à la mesure de son engagement . Elle l’avait déjà occupé de 2016 à 2018 avant de partir à Tokyo comme ambassadeur au Japon. Polyglotte, formée aux États-Unis, cette charismatique quinqua rompue au terrain international avait fait ses preuves auparavant dans le privé chez Citibank, Johnson & Johnson et Zara Investment après une parenthèse au FMI. Elle ne ménage pas ses efforts pour relancer le tourisme dans une région toujours marquée par les incertitudes géopolitiques.
Un axe fort franco-jordanien
Depuis le 7-Octobre, la fréquentation de célèbre site de Petra a chuté de 70% mais globalement la Jordanie a su préserver son image de destination sûre et stable. Et le «non» opposé récemment par le roi Abdallah II à Donald Trump, après sa visite à la Maison Blanche, quant à sa volonté de déplacer une partie des habitants de Gaza en Jordanie, a de quoi rassurer les voyageurs.
Pour l’ambassadeur Alexis Le Cour Grandmaison, qui a reçu Emmanuel Macron à Amman à l’automne 2023, et met en avant les liens étroits entre les deux pays tout comme la contribution de la France au plan économique, culturel et social , «la baisse du tourisme n’est pas justifiée». L’an dernier, le recul des visiteurs a été globalement limité à 4% avec 6,1 millions de visites, principalement soutenu par les pays voisins et du monde arabe. Une forte résilience donc alors qu’une reprise du tourisme en provenance de l’Hexagone, 3ème marché émetteur européen, semble se confirmer. La compagnir Transavia projette de rouvrir une ligne directe vers la Jordanie.
Axe franco-jordanien fort aussi au niveau des investissements. Parmi les pays européens , la France occupe la première place avec la présence d’entreprises comme ADP (qui exploite l’aéroport d’Amman),Total, Orange ou Suez. En janvier, le gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie et le consortium mené par Meridiam-Suez ont signé un contrat de concession de 30 ans pour le dessalement et l’approvisionnement en eau potable de 3 millions d’habitants dans les villes d’Amman et d’Aqaba. La future usine de dessalement sera la deuxième plus grande au monde. Le développement de zones franches dans tout le pays et notamment dans la ville portuaire du sud constitue par ailleurs un atout majeur pour attirer les entreprises. Enfin au niveau culturel , couronnant des décennies de coopération, les archéologues français et jordaniens vont travailler ensemble pour achever le programme de restauration de l’escalier du Temple de Zeus sur le site de Jerash , l’un des plus impressionnants du Proche-Orient.
Ambitieuse pour le tourisme, la ministre vise un objectif de 11 millions de visiteurs d’ici à dix ans , contre 6 millions actuellement, avec une politique plus marquée dès cette année notamment auprès des voyageurs français. C’est aussi l’une des missions du Jordan Tourism Board, organisme public-privé chargé de la promotion marketing du pays. Son directeur général, le Dr Abed Al Razzaq Arabiyat, note : « Après le cessez le feu à Gaza, et malgré les lourdes répercusssions humanitaires et économiques de la crise, la région a une opportunité de stabilisation politique et économique, ouvrant ainsi la voie à la reprise et à la croissance , en particulier dans le tourisme». Le secteur représente aujourd’hui 15% du PIB jordanien.
Pour soutenir la relance, la Jordanie va investir 1,2 milliard de dollars dans le développement de nouveaux hôtels et multiplier les expériences immersives axées sur le patrimoine, la nature et la gastronomie locale, avec des produits issus à 100% de l’agriculture jordanienne . « Il y a un potentiel inexploité sur ce plan» , estime Lina Annab, tout comme le président de l’association des restaurateurs qui vise un doublement des restaurants (1 200 aujourd’hui). Une école de renom, la Royal Academy of Culinary Arts, partenaire de la prestigieuse Ecole hôtelière de Lausanne, forme les chefs et contribue au rayonnement de la gastronomie jordanienne.
Bel avenir pour le tourisme religieux
Des partenariats avec les acteurs du tourisme français vont aussi être développés pour proposer des offres adaptées à la découverte des richesses du pays. L’an dernier, le site d’Umm Al-Jimal, situé au nord du pays, est devenu le 7 ème site jordanien inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Autre événement récent, l’organisation de l’exposition « Jordanie : l’aube du christianisme », au Vatican inaugurée au début du mois par Lina Annab et que la reine Rania a aussi visitée.
La ministre du Tourisme et des Antiquités voit un bel avenir pour le tourisme religieux, notant un nouvel engouement pour les pèlerinages. Tous les papes sont venus en Jordanie et la moitié des dix sites approuvés par le Vatican se trouvent dans le Royaume. Surfant sur cette dynamique, celui du Baptême du Christ s’est récemment enrichi d’un nouveau bâtiment catholique, l’Eglise du Baptême du Seigneur, inauguré début janvier par le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Vatican. Dans les prochaines années, six nouvelles églises s’ajouteront aux six déjà construites sur le site.
Le Mont Nebo, Mukawir, Jerash, Petra... : 85% des touristes viennent aujourd’hui pour des raisons culturelles et patrimoniales dans ce pays cosmopolite que l’on qualifie souvent de « musée à ciel ouvert». Mais la ministre veut aussi capitaliser sur la beauté et la diversité de la nature alliée à l’hospitalité locale, via notamment les circuits de trail. Des paysages grandioses et diversifiés que mettent d’ailleurs en avant de grands événements sportifs comme le Petra Wadi-Rum Trail Challenge et le Marathon des Sables, qui ont été maintenus l’an dernier sans problèmes de sécurité. Moins connu, «la Jordanie est aussi une place attractive pour le tourisme médical et thermal » , fait valoir Lina Annab décidée à jouer davantage cette carte verte. Capacité à attirer, à innover, à accueillir... : la Jordanie continue de séduire. Le Royaume a d'ailleurs reçu il y a quelque semaines à Pékin le prix de la « meilleure destination touristique au monde », décerné dans le cadre des Luxury Times 2024 Awards.
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